La commercialisation de la santé, un enjeu local et européen
24 September 2014
La commercialisation de la santé, un enjeu local et européen
Sebastian Franco, Réseau contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale
La santé sous pression
Les dépenses en santé représentent des sommes très importantes : environ 10% du PIB européen.1
Cette manne financière, représentée à 80% par des dépenses publiques2, intéresse depuis longtemps les investisseurs privés qui y voient une source importante de profit. La pression à la commercialisation de la santé n’est donc pas nouvelle.
Depuis le tournant libéral des années 80, la commercialisation de la santé gagne du terrain, se basant sur une idéologie faisant du secteur privé l’instrument le plus efficace pour répondre aux besoins sociaux. Elle se base également sur le sous-investissement public qui ne permet plus de répondre aux nouveaux besoins sociaux comme par exemple le vieillissement de la population ou l’augmentation des maladies chroniques.
Cette tendance à la commercialisation de la santé a pu être contenue notamment par une forte résistance populaire. En effet, la population en général, affiche encore aujourd’hui un fort attachement à une santé accessible, publique, universelle et de qualité.
L’Union Européenne, l’aiguillon libéral
Aujourd’hui le mouvement de commercialisation s’accélère. En cause, un cadre législatif européen toujours plus contraignant et des politiques d’austérité qui frappent tous les pays de l’Union.
L’Europe fixe au travers de ses traités, directives et règlement un cadre contraignant aux États qui influe notamment sur les politiques sociales des États membres et en particulier sur la santé.
La création et l’achèvement du Marché Intérieur, un des piliers de l’UE, favorise et promeut la concurrence au niveau continental. C’est le cas également pour les fournisseurs de services (dont les opérateurs de santé). On promeut également la circulation des personnes et des travailleurs de la santé.
Qui dit concurrence, dit prix compétitifs. Quand on sait qu’environ les trois quarts des coûts de santé sont représentés par les salaires, on peut imaginer où se feront bonne part des économies…
La directive Marchés publics complète ce dispositif. Elle oblige les États ou entités publique à soumettre tout marché publics aux opérateurs qu’ils soient publics, à but non lucratif ou privés. Les conditions de travail et donc de salaire étant souvent meilleurs dans le public ou le non lucratif, il sera plus difficile pour eux d’être compétitif.
A la suite à l’éclatement de la crise, l’Union a très rapidement mis en œuvre des politiques d’assainissement budgétaire. Cela touche tous les pays mais particulièrement ceux frappés plus durement par la spéculation.
L’Union s’est donc dotée d’instruments pour imposer ces nouvelles règles de gouvernance : Pacte pour l’euro, Six-Pack, TSGC, Two-Pack… en quelques mots, l’austérité ad eternam.
Concrètement, les pouvoirs de l’Union se sont renforcés dans la définition d’objectifs nationaux en termes de déficit et de dette ainsi que le droit pour la Commission européenne de « rectifier » les budgets nationaux qui ne seraient pas en accord avec les limites de déficit fixées.
Tout ce cadre législatif et politique européen concourt au renforcement des acteurs privés à but lucratif au détriment des acteurs publics et non-marchand, à la baisse des dépenses publiques de santé et par conséquent à la baisse des salaires des travailleurs et travailleuses de la santé et une détérioration de la qualité des soins.
S’opposer à la commercialisation de la santé c’est possible, tous ensemble!
La population l’a bien compris. La privatisation de la santé n’apportera aucune amélioration ni aux patients, ni au professionnels du secteur, bien au contraire3. D’ailleurs, les résistances populaires sont nombreuses, notamment au niveau local, ici pour défendre un hôpital ou un service de santé de proximité, là pour stopper des tentatives de privatisation.
C’est sur cette base que peuvent travailler tous les acteurs qui défendent la santé comme bien commun et universel, accessible et à moindre coût ainsi qu’une médecine de qualité. L’enjeu réside dans l’articulation des luttes locales pour être à même de stopper ou de mettre un frein au rouleau compresseur de la commercialisation de la santé au niveau européen.
C’est ce que le Réseau européen contre la privatisation et la commercialisation de la santé et de la protection sociale entend faire. Au niveau européen, il organise tous ceux qui s’opposent à la marchandisation de la santé. Ensemble, usagers, professionnels, associations peuvent s’opposer à ces politiques
Tout est parti d’une première conférence européenne qui s’est tenue à Amsterdam en mai 2011 en présence de militants venant d’Allemagne, de France, de Grande Bretagne, d’Irlande, de Pologne et de Suède. Il s’agissait d’échanger sur les expériences de luttes et collectiviser les informations sur les attaques contre les services publics de santé.
Depuis lors, le mouvement s’est élargi et plusieurs conférences européennes se sont tenues, appelant notamment à des semaines d’action et de sensibilisation « pour le droit à la santé des peuples et contre le démantèlement des services publics de santé et leur marchandisation ».
Le réseau ambitionne de se construire par une approche de terrain (fédérations syndicales de travailleurs de la santé, partis, plate formes nationales, associations) et sur base d’une critique radicale des mécanismes de privatisation/commercialisation et du système qui les sous-tend.
Le réseau souhaite également tisser des ponts avec d’autres mouvements. En effet, la commercialisation et la privatisation avancent dans d’autres secteurs, comme l’éducation ou le transport. C’est donc bien à une politique globale à laquelle il faut aujourd’hui résister.
La question du droit à la santé dans le contexte actuel de crise peut être un formidable canal de prise de conscience sociale et politique pour les travailleurs, usagers et citoyens ainsi qu’un laboratoire très intéressant pour les mobilisations à venir (voir l’exemple des mareas blancas en Espagne notamment). Le Réseau en est convaincu !
Août 2014.
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