Documents FSM 2015: « Conditions de travail et santé »
22 April 2015
Présentation de la Centrale Nationale des Employé (Belgique) dans le cadre du programme "Santé & Protection sociale" durant le Forum Social Mondial de Tunis.
1. Constats
- 2,34 millions de personnes meurent chaque année de maladies et d’accidents liés au travail (86% de maladies et 14% d’accidents)
- 160 millions/an les cas de maladies non mortelles, liées au travail.
- Près de 70% des travailleurs n’ont pas d’assurance qui puisse les indemniser en cas de maladie ou d’accident professionnels.
- Lien entre la hausse de la morbidité, les absences durables sur le lieu de travail et les maladies non transmissibles liées au travail
- 24 % des travailleurs européens considèrent que leur sécurité ou leur santé est menacée à cause de leur travail. Ce chiffre montre que, même en Europe, les conditions de travail ne s’améliorent pas. Malgré la diminution des emplois industriels partout en Europe au profit des emplois de services, l’exposition aux risques physiques classiques — bruit, produits dangereux, port de charges lourdes, etc. — persiste.
Parallèlement on voit apparaître de nouvelles maladies liées aux nanotechnologies ou aux rayonnements électromagnétiques par exemple.
Le travail réalisé dans l’économie informelle n’est ni reconnu, ni régulé, ni protégé par les lois ou réglementations existantes
Actuellement, seuls 15% des travailleurs dans le monde ont accès à des services spécialisés de médecine du travail, et ce principalement dans des grandes entreprises qui proposent une assurance-maladie et des prestations en cas d’accident du travail.
2. Maladies liées au travail et nouveaux risques
De quoi parle-t-on ?
- Maladies respiratoires chroniques en lien avec l’exposition aux poussières de silice, de charbon, d’amiante
- maladies de la peau en lien avec l’exposition à des agents chimiques,
cancers, - troubles auditifs en lien avec l’exposition aux bruits,
- troubles musculo-squelettiques en lien avec l’utilisation de machines ou à une mauvaise ergonomie
- stress, troubles psychiques, dépression liés à l’évolution organisationnelle et sociale où la productivité, le marché, la concurrence sont prioritaires avec concentration des richesses, privatisation à la clé.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a révélé en 2009 que les TMS étaient à l’origine de plus de 10 pour cent de toutes les années de travail perdues pour incapacité.
3. Coûts des maladies liées au travail
Les coûts sont énormes. Les problèmes de santé liés au travail se traduisent par des pertes économiques équivalentes à 4-6% du PIB dans la plupart des pays( 2800 milliards de dollars en coûts directs et indirects).
Quelques exemples :
- Le coût des maladies liées au travail a été évalué à au moins 145 milliards d’euros par an dans l’Union européenne (UE).
- Aux Etats-Unis, les compagnies d’assurance auraient déboursé 21,6 milliards de dollars E.-U. pour indemniser les cas d’exposition à l’amiante sur la période 1990-2000, cette somme venant s’ajouter aux 32 milliards de dollars E.-U. réglés par les entreprises qui ont fait l’objet de poursuites.
- En République de Corée, le coût financier des TMS s’est élevé à un montant total de 6,89 milliards de dollars en 2011, soit l’équivalent de 0,7 pour cent du produit intérieur brut national.
- Une estimation indique que les TMS coûtent plus de 4,71 milliards de dollars par an au régime d’assurance maladie de Nouvelle-Zélande et qu’ils contribuent pour environ un quart au montant total annuel des dépenses de soins de santé.
Les coûts sont divers :
- Coûts de productivité
- Coûts des soins de santé
- Perte de qualité de vie
- Coûts administratifs
- Coûts d’assurance
Ils concernent :
- Les travailleurs et leur famille
- Les employeurs
- Le gouvernement
- La société
4. Epidémie cachée
Les données concernant les problèmes de santé liés au travail n’existent pas partout.
A l’échelle mondiale, plus de la moitié des pays ne recueille pas de données statistiques adéquates. Il est donc difficile d’avoir une idée exacte de l’ampleur du problème.
Quand on parle de travailleurs, il faut différencier ceux de l’économie formelle et ceux de l’économie informelle.
Dans le secteur formel, la vision est plus facile puisque c’est organisé
Les travailleurs des zones rurales, ceux des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que les travailleurs de l’économie informelle – qui constituent l’écrasante majorité de la main-d’oeuvre mondiale – peuvent être exposés à des niveaux de risques élevés, dans la mesure où ils se trouvent souvent hors des systèmes qui assurent la prévention, le recensement et l’indemnisation des maladies professionnelles.
L’intensification des flux migratoires, le nombre croissant des travailleurs occupant des
emplois temporaires, occasionnels ou à temps partiel ne font pas qu’inciter à accepter plus facilement des conditions de travail dangereuses, mais s’opposent également à des pratiques adaptées en matière de suivi médical, de surveillance de l’environnement de travail, d’enregistrement et de déclaration des maladies professionnelles, qui sont indispensables à la mise en oeuvre effective d’une stratégie de prévention.
Le travail des enfants est une réalité, surtout en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud (l’Unicef parle de 158 millions d’enfants âgés de 5 et 14 ans qui sont au travail dans le monde, soit 1 enfant sur 6 !)
En Europe, c’est à l’allongement imposé des carrières qu’il faut faire face.
Avec la crise du chômage mondial que nous vivons actuellement, de plus en plus de gens cherchent du travail dans le secteur informel, où ils n’ont pas de couverture d’assurance et n’ont pas accès à des services de médecine du travail. Beaucoup de ces travailleurs travaillent souvent également dans des conditions dangereuses et souffrent de maladies, traumatismes et handicaps professionnels. Le choix d’un autre travail, plus décent, n’existe plus.
Par ailleurs, la plupart des gens actifs dans l’économie informelle sont aussi les plus vulnérables : des femmes, des enfants, des personnes âgées, des travailleurs migrants
Les travailleurs du secteur informel sont plus exposés que ceux du secteur formel à des milieux de travail de mauvaise qualité, à des normes peu élevées de sécurité et de santé, à des risques environnementaux.
D’autre part ils ignorent souvent ces risques, ou n’ont pas les moyens de les éviter
5. Politiques d’austérité / TTIP/ TISA
Politiques d’austérité : Les pays du Sud ont, il y a déjà plusieurs décennies, été touchés par ces politiques d’austérité (plan d’ajustement structurel du FMI)
Aujourd’hui elles se développent dans les pays du Nord imposant des coupes dans les budgets liés à la santé, mettant en danger les systèmes de protection sociale.
Les résultats sont connus, que ce soit au Nord ou au Sud, elles conduisent à un taux de chômage de plus en plus important et au développement de l’économie informelle, à la dualisation des sociétés.
TTIP : concerne les Etats-Unis et l’Union européenne
imposition de la logique américaine où c’est le rapport coût/bénéfice des règles de santé et sécurité qui détermine leur mise en oeuvre
TISA : concerne 50 pays représentés par 23 gouvernements
L’ouverture du marché de la santé aux investisseurs commerciaux, mais aussi un appel au tourisme médical sont des dangers réels. D’autant plus que les accords prévoient un système ou aucun retour en arrière n’est possible et que les nouveaux services sont d’emblée soumis aux règles d’accès au marché (donc automatiquement à but lucratif)
Programme REFIT : (Regulary Fitness and Performance) de l’Union européenne est mis en place pour simplifier la réglementation pour les entreprises, considérée comme un coût à éviter. Les standards minimum de protection pourront être diminués.
6. Quels moyens pour agir ?
Investir dans la santé et la sécurité au travail, mais pas seulement au travail !
La recherche a montré que les initiatives de santé sur le lieu de travail peuvent contribuer à réduire l’absentéisme pour congé de maladie de 27% et les dépenses de santé des entreprises de 26%.
Des législations internationales et nationales existent, plus ou moins respectées.
Au niveau des entreprises : l’évaluation des risques sur les lieux de travail
Les employeurs ont l’obligation de prévenir les maladies professionnelles en prenant des mesures de prévention et de protection passant par l’évaluation et la maîtrise des risques au travail.
Trop souvent considérée comme une simple formalité administrative et confiée à des consultants extérieurs. Une telle évaluation se limite généralement à des risques traditionnels et visibles. Elle ne débouche pas sur une dynamique de dialogue social en vue d’une amélioration des conditions de travail. L’évaluation des risques est souvent de meilleure qualité dans les entreprises où elle est menée avec la participation active des représentants des travailleurs. Dans ce cas, elle couvre une plus grande variété de risques et débouche sur des actions préventives plus systématiques
.
Une approche participative constitue l’alternative la plus féconde à une conception bureaucratique et formelle de l’évaluation des risques. Les conditions de travail déterminent d’importantes inégalités sociales de santé. Ce sont précisément les travailleurs qui ont le moins de contrôle sur les conditions de travail qui tendent à cumuler les risques. Une évaluation participative peut contribuer à renverser la tendance en donnant la parole à ceux et celles qui sont privés de cette possibilité. Leur intérêt à modifier les conditions de travail peut s’appuyer sur une connaissance réelle de celles-ci.
Organisation des travailleurs : Les bénéfices liés à la hausse de la productivité et à la croissance économique doivent servir aux travailleurs.
Ceux-ci doivent donc s’organiser via les organisations syndicales pour créer un contre-pouvoir.
Exemple : séminaire organisé en Belgique par ETUI1 et la Plate-forme santé et solidarité visant à présenter des projets unissant chercheurs et travailleurs autour d’un objectif commun : la visibilisation de l’impact du travail sur la santé.
Laurent Vogel, chercheur de l’ETUI, a regretté que les instruments scientifiques et institutionnels mis en place jusqu’à présent n’aient pas permis de mettre sur la place publique l’impact considérable du travail sur notre santé. Il a notamment évoqué les chiffres officiels des maladies professionnelles qui ne représentent que la pointe de l’iceberg des maladies liées au travail. Les dispositifs existants négligent les conditions réelles de travail, la dimension de genre, les travailleurs exclus du travail en raison de leur état de santé et ceux partis à la retraite, etc.
Pour parvenir à rendre visible l’impact du travail sur la santé, il a appelé à une coalition entre chercheurs et travailleurs car les connaissances de ces derniers quant à leurs conditions de travail sont trop souvent négligées.
La présence des syndicats dans les entreprises est déterminante pour les conditions de travail. La CSC (syndicat belge) a réalisé une enquête2 qui montre que dans les entreprises où des élections sociales sont organisées, les conditions de travail sont nettement améliorées : meilleure rémunération, moins de roulement du personnel, meilleure attention à la formation des travailleurs).
La protection sociale : les systèmes de sécurité sociale doivent protéger les gens quand ils perdent leurs revenus (ou une partie), ou lorsque leurs revenus sont insuffisants pour couvrir certains besoins (santé, chômage, accident de travail, vieillesse, …)
La prévention permet de protéger la vie et les moyens de subsistance des travailleurs et de leurs familles, mais est favorable au développement économique et social.
Le fardeau des maladies professionnelles pèse sur chacun d’entre nous, en tout lieu, des usines aux exploitations agricoles, des bureaux aux unités de forage pétrolier, sur les lieux de travail et au sein des communautés. Personne n’en est exempt. Il y a consensus sur le fait que la prévention est un mode d’action plus efficace et moins coûteux qu’un traitement suivi d’une réadaptation.
7. Le débat est ouvert…
Nous ne sommes évidemment pas des experts, mais là où nous sommes nous constatons un certain nombre de choses, nous sommes interpelés par des situations inacceptables, nous sommes convaincus qu’il y a moyen de faire changer les choses.
- Vit-on la même chose partout ?
- Quelle volonté avons-nous pour tenter d’inverser les tendances actuelles ?
- Que peut-on mettre en place ? et avec qui ?
- Comment pouvons-nous créer une dynamique où tous peuvent s’y retrouver quel que soit notre lieu de vie et de travail ?
8. Liens utiles
Agenda social n° 38 (10/2014) Santé et sécurité 2014-2020 http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=737&langId=fr&pubId=7723&type=1&furtherPubs=yes
OMS aide-mémoire n° 389 avril 2014 http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs389/fr/
prévention des maladies professionnelles : journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail 2013 http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---protrav/---safework/documents/publication/wcms_209553.pdf
Santé et sécurité sociale, le cas du secteur informel http://www.solmond.be/IMG/pdf/Fiche_5-Sante_et_securitesociale-DEF.pdf
Estimation du coût des accidents et des problèmes de santé au travail https://osha.europa.eu/fr/publications/reports/executive-summary-estimating-the-cost-of-accidents-and-ill-health-at-work/view
Also in this section
2 April 2020 – Interview with Brando Benifei on the COVID-19 crisis in Europe
2 April 2020 – Interview with Petra De Sutter on the COVID-19 crisis in Europe
4 March 2020 – CHANGING THE EUROPEAN MEDICINES AGENCY
8 October 2014 – TISA or the secret agreement
24 September 2014 – Report of the Right to Health UN Special Rapporteur